Le diable abandonné est une plongée dans le monde paradoxal du langage. Le fils, personnage principal de l’histoire incarne bien ce paradoxe : il voudrait trouver des mots qui n’appartiennent qu’à lui, les mots les plus intimes et les plus sincères; et pourtant, tous les mots qu’il a à sa disposition viennent d’une langue née bien avant lui, que son père utilisait déjà pour se définir lui-même. Ainsi, pour trouver sa propre langue, le fils devra revisiter ses ancêtres, sa culture. La Meuse obscure, premier tableau du triptyque du diable abandonné, met en évidence le MOT. Les mots y sont des lieux où l’on peut vivre; ils sont comme une maison où l’on habite, une forêt où l’on se perd. La forêt des origines, deuxième tableau, se concentre sur l’écriture et les supports de l’écriture (le papier, le bois). Venus du fond des âges, des caractères cunéiformes, araméens, phéniciens, reprennent vie et forment les personnages de l’histoire. L’horizon lent, troisième tableau, évoque la LANGUE IDÉALE, cette langue qu’une humanité enfin réconciliée pourrait parler d’une seule voix. Cette langue (peut-être oubliée), aussi pure que les glaces du pôle nord, aussi blanche qu’une page blanche, est sans cesse contrariée par les traces que laissent des hommes; leurs pas dans la neige, leur écriture sur la page blanche. Mais n’importe quelle histoire ne naît-elle pas toujours d’une contrariété? Le diable abandonné est un théâtre de marionnettes sans marionnettes. L’histoire est racontée aux spectateurs soit par la voix de la conteuse, soit par le castelet lui-même qui fait apparaître et agite des draps où sont écrits des textes. En s’appuyant sur la nature même du theâtre, le spectacle cherche à réconcilier l’oral et l’écrit, et à faire de la lecture silencieuse d’un texte écrit, non plus un moment individuel, mais une expérience publique partagée.
Entretien autour du projet du diable abandonné