À Berlin, des spectacles de radio-ventriloquie furent également présentés, mais sous un jour moins « spectral » ; l'attrait venait plutôt du caractère cosmopolite de la radio, grâce à laquelle, d'un simple tour de molette, on pouvait recevoir le monde dans toutes ses différences de voix, de langue, de culture (en 1932, Europa-Radio était en liaison avec quatorze postes d'outre-mer).

Au cabaret des Onze Bourreaux, un spectacle de pantomime ventriloque, Direkt Radio, tint l'affiche les six premiers mois de l'année 1934. Au centre de la scène, le ventriloque Theodor Biswagen utilisait une TSF comme un musicien se servirait d'un diapason pour trouver le ton juste. Il passait en direct d'une station à l'autre, et quand il tombait sur une chanson, un débit de voix ou une langue particulière, coupait le son et faisait lui-même parler la radio sur le même ton, mais en adaptant les paroles ou les intonations pour qu'elles s'appliquent au microcosme berlinois et divertissent le public. Mais le 29 juin, alors que la salle se remettait à peine d'un grand éclat de rire, il tomba par hasard sur le bulletin d'information officiel qui s'enorgueillissait des assassinats perpétrés pratiquement à l'instant même par les nazis durant cette Nuit des longs couteaux.

Tout le monde resta figé. Ce n'est qu'à la fin des informations que Biswagen coupa la radio et, pour la première fois sur scène, ouvrit vraiment la bouche pour, de sa véritable voix, annoncer que Direkt Radio s'achevait là et que dorénavant, il mettrait son talent de ventriloque à faire parler les morts tombés pour la bonne cause.

Le lendemain, il était emmené au camp d'Oranienburg. 

Bouton de la veste de scène de Theodor Biswagen, photographie de 1931 et pièce originale exposées au cabaret des Onze bourreaux lors de sa réouverture en 1984

Theodor Biswagen tournait ostensiblement son bouton dans un sens ou l'autre selon qu'il élevait ou baissait la voix dans ses numéros de ventriloque.
Ce bouton fut le seul bien personnel qu'il emporta au camp d'Oranienburg.