Les chansons de marins (ou chansons de bord) ont connu leur âge d'or aux XVIIIe et XIXe siècles.
Face aux manœuvres de plus en plus complexes à bord des trois-mâts de l'époque, le fait de chanter au travail imprimait un rythme qui coordonnait naturellement les mouvements des marins et leur assurait un meilleur rendement pour – un peu – moins d'efforts consentis.
Les marins étaient incités à entonner des chants pour pratiquement toutes les activités à bord. Il y avait des chants spécifiques pour lever les voiles, nettoyer le pont, ramer, écoper, éplucher les pommes de terre, se défouler ou rendre un dernier adieu.
La mort était un sujet tabou à bord d'un bateau et n'était généralement évoquée qu'au travers de chansons.
Suivant une ancienne tradition, lorsqu'un homme disparaissait en mer et que tout espoir de le retrouver vivant était perdu, les marins lançaient une corde à la mer en chantant à voix basse une chanson de circonstance.
L'extrémité de cette corde avait été en partie détressée – comme on détisserait les fils de la vie – pour former une grande main avec les fibres libérées du chanvre. Jetée à l'eau, cette main était censée donner un dernier signe au disparu, là où il demeurait désormais ; de ses longs doigts, elle caressait aussi les vagues, comme pour les amadouer, leur demander d'être moins cruelles. Sur la corde, étaient attachés de petits personnages de chanvre qui pouvaient illustrer différentes chansons. Les chansons funéraires étaient généralement très courtes ; une fois la « dernière corde » remontée à bord, roulée dans son panier et remisée en fond de cale, plus personne n'évoquait l'événement, ni même ne prononçait le nom du marin disparu.
Voici un chien, un chien abandonné tout petit
Par la sombre main d'un maître froid, sans remords.
Recueilli enfin par un enfant qui lui donne réconfort,
Il devient grand et fort. Pourtant, une profonde nuit
Il voit passer l'ombre ancienne du maître sans pitié.
Aussitôt il s'en approche et sans hésiter, va lui donner
L'amour infini reçu de l'enfant généreux.
Je suis comme ce chien ; jeté dans le monde creux
Par la grande vague noire et froide de l'éternité.
La vie m'a recueilli, aimé, comblé.
Je suis devenu marin. Pourtant, une nuit viendra
Où je verrai passer la sombre vague de l'au-delà.
Je plongerai en elle et sans hésiter, lui donnerai
L'amour infini que j'ai reçu de la vie étoilée.