In the streets of Paris

 

On raconte qu’en Italie, les enfants s’écorchent les genoux des après-midi entières à jouer avec les insectes qu’ils trouvent dans les champs.
Quand ils se relèvent, ils frottent des pétales de coquelicots sur leurs genoux avec l’espoir qu’en soulignant leur rougeur, ils partageront un peu de la douleur qu’ils ont infligée au corps de leur chers petits animaux, et seront peut-être pardonnés.

On raconte qu’en France, durant la première guerre, on plantait des coquelicots en haut des tranchées, pour qu’à la nuit tombante, les ennemis les prennent pour des cigarettes incandescentes dans la bouche des soldats et y gaspillent leurs munitions.
Le lendemain, ceux qui ramassaient les fleurs coupées les plaçaient par superstition dans leur paquet de cigarettes.

On raconte qu’en Australie, les grillons délimitent leur aire de vie en fonction des coquelicots. Si après un violent orage, il ne reste plus aucun coquelicot, les grillons émigrent aussitôt. En revanche, s’il n’en reste qu’un seul, les grillons restent sans bouger à côté de celui-ci.
On ne sait pas s’ils y restent attachés parce que leur espace s’est réduit à un seul point, ou si le coquelicot est devenu le drapeau d’un pays disparu auquel ils rendent hommage.

On raconte qu’en Chine, celui qui veut apprendre à peindre d’après nature doit cueillir un coquelicot et le garder en main en le regardant avec attention jusqu’à ce qu’il se flétrisse. Il peut alors jeter l’original et reproduire l’image qu’il vient de fixer intensément.
Cet exercice demande une grande confiance en soi, et beaucoup d’apprentis sont tellement nerveux, qu’ils serrent la tige dans leurs mains au point d’empêcher la sève de s’évacuer. Ils peuvent ainsi rester plus de trente-six heures avec une fleur toujours fraîche en main. Lorsqu’elle se flétrit enfin, ils sont beaucoup trop épuisés pour composer le moindre dessin.

On raconte qu’en Argentine, les prisonniers qui voulaient dénoncer leurs conditions de détention, passaient le doigt sur des sacs en plastique et y écrivaient tout ce qu’ils avaient sur le cœur. Puis ils arrachaient un coquelicot dans le jardin de ronde et l’emballaient dans le plastique pour l’envoyer à leur famille. En pourrissant à l’intérieur, le coquelicot provoquait une buée qui laissait apparaître les écrits.
Mais les familles étaient tellement heureuses de recevoir une fleur – même pourrie – de leur bien-aimé, que jamais, elles ne se préoccupèrent de l’emballage.

On raconte qu’en Bohème, le même motif de coquelicot se retrouve sur les papiers peints de la plupart des maisons.
Soit par mimétisme, soit parce que l’œil s’est habitué à leur disposition domestique, il semble que l‘implantation des coquelicots soit identique dans les champs.

On raconte qu’en Chine, les coquelicots doivent prendre garde aux Ilnis. Ces insectes parasites profitent de leur ressemblance avec les jeunes pousses de coquelicots pour se nourrir de la graine tout en lui donnant l’illusion de croissance.

La sonde Voyager II – qui fut lancée dans l’espace pour donner des informations sur notre civilisation – contenait une image de rose pour représenter nos fleurs.
On raconte qu’en signe de protestation envers le choix porté par leurs supérieurs sur une fleur de culture, tous les techniciens de la base s’étaient spontanément faits tatouer un coquelicot sur l’épaule.

On raconte qu’au Canada, de plus en plus de personnes croient voir des coquelicots là où il n’y en a pas.
Cela ne gêne pourtant en aucune manière ceux qui ne les voient pas, car il est toujours plus agréable d’avoir des jardins sans intérêt décorés de regards et de sourires béats.