Chloé et moi avions pris l’habitude de venir à l’étang les premiers beaux jours d’été. Après la baignade, nous nous étendions sur les berges pour nous faire sécher au soleil. Chloé se plongeait dans son livre ; je passais mon temps à regarder les grains de beauté qui émaillaient son dos. C’était grâce à eux que j’avais appris à compter (addition des plus gros, soustraction des plus fins, division du tout par les plus noirs). Mais je ne savais encore ni lire ni écrire.
Chloé, elle, savait tout. C’était l’aînée.
Son livre était piqué de petites taches rousses assez semblables à celles de son dos. Dès qu’elle tournait une page, j’y repérais les taches. Quand la ressemblance avec les siennes était vraiment trop frappante, je demandais à Chloé le sens des mots qui se trouvaient autour. Elle m’apprit à les lire. Je retins l’histoire de son livre par cœur en la greffant mentalement sur ses grains de beauté.
Puis un jour — sans-doute m’avait-elle assez donné — je ne la revis plus.
Je revins à l’étang avec d’autres filles. Mais ce n’était plus pareil. Elles avaient mon âge et ne lisaient pas. Je n’attendais rien d’elles. Je restais des après-midis entières à m’ennuyer en leur compagnie. J’avais beau regarder leur dos, je n’y trouvais que des histoires sans intérêt. Ma seule distraction était de voir le soleil faire peu à peu rougir leur peau. À la fin de la journée, je passais mon temps à jeter dans l’eau les petits morceaux de peau morte qui se détachaient de leur dos. Mais la blancheur de la nouvelle peau que je mettais à jour, son absence totale de pigmentation me paraissait monstrueusement vide. Il fallait que j’y greffe quelque chose. Il fallait que j’apprenne à écrire.
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Depuis toujours, j’avais pris l’habitude de venir m’allonger au pied de mon chêne pour y lire mes livres préférés.
Un soir, j’étais tellement absorbé par ma lecture que je ne me rendis même pas compte de la tombée de la nuit. Il faisait de plus en plus noir, mais au fond de moi-même, je ne voulais pas accepter qu’une simple rotation de la Terre m’interdît de poursuivre mon histoire. Vint pourtant le moment où l’obscurité fut telle qu’elle m’empêcha de reconnaître le moindre mot. Je décidai malgré tout de garder les yeux ouverts devant chaque page autant de temps qu’une condition normale de lecture ne l’aurait demandé. J’espérais bien qu’ainsi, lorsque le jour reviendrait, mon histoire se révélerait à la lumière.
Je passai la nuit entouré des bruits inquiétants de la forêt, et seul le fait d’être plongé dans mon livre m’empêcha d’être complètement terrorisé.
Au petit matin, les premiers rayons du soleil éclairèrent les plus hautes branches de l’arbre. Aucun mot ne saurait décrire le bonheur avec lequel je retrouvai la lumière du jour et le chant réconfortant des oiseaux. Et c’était bien là ma grande désillusion : aucun mot, aucune histoire ne me vint à l’esprit. C’était une évidence : je ne connaissais pas la fin de mon livre. Le simple bonheur d’être là était si fort qu’il m’empêchait de retrouver au fond de moi tout ce que la nuit m’avait peut-être donné. Si je n’y prenais pas garde, ce bonheur m’aurait complètement envahi, étouffant sur son passage toutes les histoires qui sommeillaient en moi, et qui n’attendaient peut-être qu’un petit chagrin pour se donner au monde.
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Lorsque Chloé partit en emportant tous ses grands livres, je dus me résoudre à poursuivre mes lectures dans de petits formats mieux adaptés à mon maigre argent de poche. Je continuai d’aller lire à la table du fond du jardin, mais je connus le plus grand mal à m’accorder à l’étroitesse des pages. Régulièrement, mon regard débordait des lignes et se perdait dans le blanc de la marge; parfois même, emporté par son élan, il allait mourir jusqu’aux bords de la table. Je restais alors, pendant de longues secondes, les yeux dans le vide à songer au passé. Il me fallait tout le courage du monde pour me replonger dans mon histoire.
Puis un jour, je décidai d’assumer la nouvelle forme que prenait ma vie. J’acceptai même d’assister aux fiançailles de Chloé.
De retour au jardin, je disposai tout autour de mon livre les photos que j’avais prises des nouveaux amis de Chloé. Ainsi, chaque fois que je débordais de la page, la simple vue de leur tête me faisait détourner les yeux de dégoût, et comme un chariot de machine à écrire, me renvoyait avec une force inouïe à la ligne suivante de mon histoire.
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Als kind klom mijn grootvader op het dak van het huis om daar de bewegingen gade te slaan van de vijand die zijn familie had uitgedund. Later kwam mijn vader daar de onwaarschijnlijke terugkeer afwachten van zijn vader die bij gevechten gevangen was genomen.
Ik ging er op mijn beurt heen. Eerst om de tijd te doden, vervolgens om er stiekem te roken en verboden boeken te lezen. Ik begreep trouwens nooit waarin het vermoedelijke gevaar ervan school. Het enige reële gevaar waarvoor ik beducht was terwijl ik las was in de pakken zwartachtige rook terecht te komen die uit de schoorsteen neersloegen telkens als mijn vader in het salon moeizaam een vuurtje wilde stoken. Zijn vader had geen tijd gehad om hem te leren een vuur correct aan te steken.
Op een dag kon ik niet vermijden dat een wolk roet de bladzijden van mijn boek helemaal zwart maakte. Alleen op de plek waar mijn duimen hadden gestaan verscheen nog een handvol letters. Het drong toen tot mij door dat op elke bladzijde een deeltje van de geschiedenis me was ontgaan. Ik wilde die tekstfragmenten ontdekken die ik voor mezelf verborgen had gehouden en begon het boek van voren af te herlezen. Ik liet mijn duimen instinctief op de bladen rusten, en las vervolgens alleen maar de ruimte die ze bedekten. Maar ik kon er niets uit opmaken; ik begreep de woorden niet die mijn hand verborgen had. Ik wilde absoluut weten wat men voor mij verborgen hield. Ik voelde mijn hoofd duizelen. Wie kon me helpen? Mijn vader niet, hij was zelfs niet in staat een vuur aan te steken. Ik begon de horizon af te turen in de hoop dat iemand het me zou komen uitleggen: mijn grootvader! de vijand! ik zou zelfs een verbond met de vijand gesloten hebben! Plots werd ik me ervan bewust dat mijn gedachten afdwaalden. Mijn boek werd te gevaarlijk. Ik gooide het in de schoorsteen.
Ik hoorde de kreten van mijn vader kort daarop. Het was de eerste keer dat zijn vuur zo goed aanging.
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