Les buvards

LETTRE D’OSKAR SERTI À CATHERINE DE SÉLYS

 

Verdun, le 21 février 1916.

 

Ma Catherine,

 

Ça y est, maintenant je sais ce que c’est. On s’est fait tirer dessus toute la nuit. Les balles passaient incroyablement bas.
Pour me protéger, j’ai dû me coucher sur le corps d’un jeune breton qui venait de tomber. Je ne le connaissais même pas, c’était un nouveau.
J’étais tellement collé à lui qu’au moment où il a passé l’arme à gauche, j’ai senti son dernier souffle.
J’ai toujours son haleine en moi, cette odeur de tabac. C’est incroyable, son haleine m’écœurait plus que l’horreur de sa mort.

Au petit matin, ceux d’en face sont arrivés. Ils venaient achever les survivants. J’ai fait le mort. J’étais complètement imprégné du sang de l’autre ; je crois que c’est ça qui m’a sauvé.
Je t’en prie, envoie-moi des cigarettes, je lui dois bien ça.

 

Ton Oskar

LETTRE DE CATHERINE DE SÉLYS À OSKAR SERTI

 

Paris, le 15 mars 1916.

 

Mon Oskar,

 

Ta lettre m’a profondément troublée. Je ne sais si tu me dis la vérité ou si tu me forces à t’avouer quelque chose.
Et bien je vais tout te dire : Il y a un peu plus d’un mois, en allant à la caserne te poster un colis, j’ai croisé ce jeune breton qui allait rejoindre ton bataillon.
Il me faisait penser à toi la veille de ton départ. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je lui ai demandé de me suivre jusqu’à la maison pour y passer ses dernières heures de liberté.
Mais il ne s’est rien passé. Nous nous sommes seulement étendus l’un à côté de l’autre. Je lui ai demandé d’accepter un jeu : que je puisse l’appeler par ton nom et qu’il me réponde comme s’il était toi. Il a joué ton rôle en échange de quelques cigarettes.
Je te jure que je ne me souviens même plus de son haleine.
Reviens moi vite,

 

Ta Catherine

 

Le contenu de ces lettres — dont les originaux n’ont malheureusement jamais été retrouvés — a pu être reconstitué grâce à un examen approfondi des deux buvards respectivement utilisés par Oskar Serti et Catherine de Sélys les 21 février et 15 mars 1916.