Le paillasson

 

 

Chaque fois qu’un stupide éditeur refusait de publier un de ses manuscrits, Oskar Serti rentrait chez lui en éprouvant le besoin de se retrouver seul avec lui-même. Avant de s’enfermer de longues heures dans son bureau, il frottait rageusement ses pieds sur le paillasson pour bien se débarrasser de toute la saleté du monde extérieur.
Le 3 mars 1934, alors qu’il était parti voir un petit éditeur de province, Serti se sentit soudain tellement incapable d’essuyer un nouveau refus qu’il rebroussa chemin avant même d’avoir affronté la rencontre. En rentrant chez lui, comme pour mieux se défaire du sentiment poisseux de sa propre lâcheté, il se déchaussa et frotta violemment ses pieds nus sur les poils rêches du paillasson.
Malheureusement, il avait tellement pris l’habitude d’éliminer toute forme de saleté sur son paillasson, que lorsqu’il vit apparaître de sombres traînées rougeâtres sous ses pieds, il ne put s’empêcher de les frotter encore et encore.