La station Liège

 

 

Dès le premier jour de sa prise de fonction en tant que chef de cette station, l’agent L… se rendit compte que le simple fait de prononcer le nom « Liège » provoquait en lui des paysages mentaux. À chaque fois qu’il devait le prononcer, il cherchait une façon différente de le faire pour voir naître en lui de nouveaux paysages dans lesquels il pouvait se plonger durant sa journée de travail.
Ses variations sur le thème de « Liège » ne passèrent pas inaperçues car, poussés par le simple plaisir de les entendre, des usagers faisaient semblant d’être perdus et venaient lui demander dans quelle station ils se trouvaient.
À la fermeture de ce local, les graffittis laissés par le chef de station sur le pan de mur caché par son bureau furent acquis par le chœur de l’Ensemble de Musique Vocale Contemporaine de la RATP qui décidera de les inscrire à son répertoire.

 

Lors de sa fermeture, ce local fut occulté par de sombres rideaux, et l’on s’en servit comme débarras. Un membre du personnel chargé du nettoyage des voies dans les tunnels, profita de cet abandon pour y entreposer tous les végétaux un peu particuliers — pratiquement blancs en l’absence de lumière naturelle — qu’il s’amusait à prélever le long des voies. Avec le temps, il les disposa pour qu’ils composent une sorte de forêt fantastique.
Puis un jour, un rideau alourdi par une surcharge de poussière tomba et fit apparaître la forêt à tous les usagers. Le nom de « Liège » était toujours inscrit dans le local, et les voyageurs qui découvraient la forêt s’imaginèrent que c’était une maquette d’une véritable forêt qui se trouvait en pays de Liège.
Le lendemain, le rideau fut replacé par l’employé, mais rien n’y fît. À travers un jour d’à peine quelques centimètres, les usagers qui avaient découvert la forêt, parvenaient à enfoncer leur regard pour y pénétrer à nouveau.
Lorsque la direction de la RATP envisagea de réhabiliter ce local et de le dédier à Liège, il fut décidé de conserver cette forêt, car pour tous elle était liégeoise. D’autant plus que certains usagers qui avaient fait le voyage jusqu’à Liège avaient réussi à retrouver dans la véritable forêt liégeoise des détails de celle qui se trouve dans ce local.