le thé

 

Un instant, Serti eut la conviction que Véronique était revenue ; qu’elle se trouvait derrière la porte de sa chambre, et que par une merveilleuse attention, elle ne voulait pas le réveiller avant d’avoir préparé du thé. Malheureusement, lorsque Véronique empoigna la théière, elle la trouva tellement chaude qu’elle manqua de la laisser tomber. Mais par crainte de réveiller brutalement Oskar, elle la garda en main, concentrant toutes ses forces pour ne pas laisser échapper un cri de douleur qui aurait pu avoir l’indélicatesse de rappeler à Oskar celui qu’il poussa lors de sa chute.
Lorsque la douleur commença à se dissiper, le thé fut alors trop froid pour être servi, et Véronique en prépara de nouveau dans le plus grand silence.
Seul dans son lit de fortune, Oskar Serti fut tellement ému par tant de prévenance, qu’il accepta sans trop de mal d’attendre un moment encore le retour de Véronique Coulanges à ses côtés.

Dans un demi sommeil, Serti eut l’impression que Véronique était de retour ; qu’elle se tenait dans une pièce voisine, lui faisant la surprise, dans le plus grand silence, de préparer du thé. Mais juste avant d’ouvrir la porte de la chambre d’Oskar, elle remarqua qu’une fine aiguille plantée dans le talon de sa chaussure griffait le sol en produisant le même son que le déchirement des vêtements d’Oskar lorsqu’il s’écorcha sur son éperon rocheux. Pour ne pas lui rappeler de mauvais souvenirs, elle déposa son plateau pour retirer l’aiguille. Malheureusement, celle-ci s’introduisit si profondément dans son pouce qu’elle n’osa la retirer immédiatement, de peur de pousser un cri de douleur si violent qu’il aurait risqué de traumatiser Oskar.
Lorsque les élancements se calmèrent, elle retira vaillamment l’aiguille sans dire un mot ; mais en reprenant le plateau, elle se rendit compte que le thé était froid, et sans faire de bruit, décida d’en préparer à nouveau.
Seul dans son lit de fortune, Oskar Serti fut tellement touché par tant de délicatesse, qu’il accepta sans trop de mal d’attendre un moment encore le retour de Véronique de Coulanges à ses côtés.

Une fraction de seconde, Oskar Serti eut le sentiment que Véronique avait fait demi-tour; qu’elle se trouvait de l’autre côté de la porte et lui faisait la surprise de préparer du thé dans le plus grand silence. Mais il faisait un froid si intense, que la réserve d’eau était complètement gelée. Véronique de Coulanges prit un morceau de glace pour le placer dans un poêlon malheureusement trop petit pour le recevoir tout entier. Par crainte de rappeler à Oskar le bruit si pénible de la glace qui s’était dérobée sous ses pieds, Véronique n’osa concasser le bloc, et décida de le coller contre son ventre pour le dégeler sans bruit.
Elle réussit à faire chauffer sur le feu l’eau patiemment récoltée, avant d’être victime de crampes abdominales si terribles qu’elle fut paralysée de douleur durant de longues minutes.
Lorsque Véronique put enfin bouger, elle découvrit l’eau du thé complètement évaporée et dut se résoudre, dans le plus grand silence, à en préparer de nouveau.
Seul dans son lit de fortune, Oskar Serti fut tellement bouleversé par tant de sollicitude, qu’il accepta sans trop de mal d’attendre un moment encore le retour de Véronique à ses côtés.

A la tombée de la nuit, Serti s’imagina que Véronique était déjà de retour; qu’elle se trouvait dans une autre pièce du refuge, et lui faisait la surprise de préparer du thé dans un silence religieux. Mais juste avant d’ouvrir la porte de la chambre d’Oskar, elle se rendit compte avec effroi que le petit motif qui garnissait la théière représentait un éperon rocheux pratiquement identique à celui qui venait de blesser Oskar. Pour ne pas l’éprouver d’avantage, elle décida de gratter la décoration avec le bout de son ongle. Malheureusement, au cours de l’opération, elle se retourna l’ongle si douloureusement qu’elle trempa aussitôt sa main dans le thé bouillant d’Oskar, avec le secret espoir d’insensibiliser le bout de son doigt, ou dans le pire des cas, de mieux répartir la douleur.
Lorsqu’elle retira ses doigts de la théière, elle s’aperçut que le thé avait refroidi. Sans faire de bruit, elle se résolut alors à en préparer de nouveau.
Seul dans son lit de fortune, Oskar Serti fut tellement attendri par tant de dévotion, qu’il accepta sans trop de mal d’attendre un moment encore le retour de Véronique à ses côtés.

A intervalles réguliers, Serti se figurait que Véronique Coulanges était revenue; qu’elle se trouvait de l’autre côté de la porte, et dans le plus grand silence, lui faisait la surprise de préparer du thé. Mais lorsqu’elle prit le pot dans l’armoire, elle s’aperçut avec stupeur que le thé était baptisé Vertige de la Montagne. De peur de maintenir Oskar dans sa nouvelle terreur des sommets, elle goûta le thé pour vérifier si son appellation était bien justifiée. Comme une seule tasse ne parvint pas à lui donner une idée précise sur la question, elle fut contrainte de boire toute la théière, sans malheureusement résoudre son problème.
Mais la quantité de théine qu’elle venait d’ingurgiter la mit dans un tel état d’ excitation qu’elle dut attendre de longues minutes avant de pouvoir en préparer à nouveau, dans le plus grand silence.
Seul dans son lit de fortune, Oskar Serti fut tellement réconforté par tant d’égards, qu’il accepta sans trop de mal d’attendre un moment encore le retour de Véronique à ses côtés.


 

Le 8 octobre 1912, Oskar Serti et Véronique de Coulanges tentèrent, sans la moindre assistance, la périlleuse ascension du Mont-Blanc par le col de la Brenva. Malheureusement, à deux cents mètres à peine du but, Serti glissa d’un éperon rocheux et se brisa une jambe. Véronique de Coulanges parvint à le transporter jusqu’au refuge « Vallot », puis courageusement, partit chercher de l’aide dans la vallée.
Seul dans un lit de fortune où il abandonna toute notion du temps, Serti attendit le retour de Véronique, accablé par la fièvre et le silence de la montagne.