Les antennes

Lorsqu’il apprit que le service télévision de la
      BBC diffuserait chaque mois de l’année 1935 un récital
      de piano interprété par Catherine de Sélys, Oskar
      Serti ne put s’empêcher de se procurer aussitôt un poste
      récepteur.
      Malheureusement, la qualité des images s’avéra particulièrement
      décevante : soit l’image Catherine se perdait dans un épais
      brouillard, soit il était impossible de la maintenir en place.
      Malgré le fait qu’à cette époque, les antennes
      n’étaient pas parfaitement isolées du courant, jamais
      Serti n’hésita à jouer avec elles pour empêcher
      Catherine de lui échapper. Sans vraiment se l’avouer, il éprouvait
      même un certain plaisir à être aux prises avec ces bras
      métalliques qui, à chaque mouvement, lui faisaient apparaître
      une vision nouvelle de Catherine. 
      Un soir de juillet, Serti connut soudain un instant de grâce qui
      le secoua de la tête aux pieds : la musique diaphane de Catherine
      se répandait dans la pièce, son image s’évanouissait
      sans fin sur l’écran, mais surtout, de ses doigts agrippés
      aux antennes, avait-il l’impression de toucher enfin son âme.
      Lorsque le récital s’acheva, Serti ne put retirer les mains
      des antennes ; mais à travers les courbes généreuses
      des tiges tordues par l’émotion, ce n’était plus
      que le corps de Catherine qu’il caressait frénétiquement
      sous les yeux brouillés du présentateur annonçant
    la suite des programmes.