Les portillons

 

 

Au cours de son morne exil londonien, Oskar Serti se demandait, chaque fois qu’il perdait son temps dans la station de métro Earl’s Court, pourquoi les usagers choisissaient d’emprunter un portillon automatique plutôt qu’un autre.
Pourquoi telle personne passait-elle chaque jour par le même portillon ? Quels points communs pouvaient bien partager tous ceux qui se suivaient dans un même passage ?…
Après plus d’un mois d’observation quotidienne, Serti écrivit avec une passion insoupçonnée un petit opuscule illustré sur la question.
Mais le matin où il voulut prendre le métro pour proposer son manuscrit à un éditeur, il se retrouva paralysé devant les différents portillons. Lui qui venait d’étudier en détails les comportements spécifiques à chaque passage, ne parvenait à se retrouver dans aucun d’entre eux. Préférant ne pas s’engager dans une voie qui ne lui correspondait pas, il se résolut à sauter par dessus la barrière de service.
Lorsque, pour son malheur, un contrôleur attentif l’intercepta en flagrant délit, Serti pensa justifier son geste en montrant son étude. Il se rendit alors compte, qu’au moment de son saut, son manuscrit avait glissé de sa poche pour s’éparpiller de l’autre côté de la barrière.
Retenu par son intraitable gardien, Serti eut tout le temps de voir ses feuilles piétinées par un groupe d’écoliers; il eut même le loisir de se demander pourquoi certains d’entre eux marchaient uniquement sur les textes, tandis que d’autres avaient choisi de s’en prendre exclusivement aux illustrations.