Le parc public

 

le parapluie

Le 6 juin, Oskar Serti était à peine monté sur un vieux cageot à myrtilles que la pluie se mit à tomber. Il ouvrit instinctivement son parapluie, puis estima qu’il n’était peut-être symboliquement pas très glorieux de se protéger ainsi pour prononcer le type de discours dont il se sentait investi. Pourtant, dès qu’il referma son parapluie, la pluie commença à tomber si drue qu’il le rouvrit à nouveau pour ne pas être trempé jusqu’aux os. Mais lorsqu’il aperçut un nombre important de têtes nues se tenir autour de lui, il n’hésita plus un instant à le ranger définitivement pour entamer son discours.
Malheureusement, à ce moment précis, toutes les personnes qui s’étaient précipitées vers lui s’en allèrent, profondément déçues de voir que celui qui venait de gesticuler sur sa caisse n’était pas le vendeur de parapluie providentiel qu’elles avaient toutes imaginé.

 

Aux alentours : Marronier sauvage, probablement né à la suite du passage d’Oskar Serti à cet endroit.

l'araignée

Le 15 juin, installé sur un vieux cageot à noisettes, Oskar Serti se surprit lui même de l’impact qu’avaient ses violentes diatribes contre le fascisme, sur un public qui semblait suspendu à ses lèvres. Jusque là, Serti n’avait jamais connu cette intense émotion de sentir une assistance aussi imprégnée par ses propos. Tout au long de son discours, il s’enivrait de ces yeux écarquillés, ces sourcils froncés, ces sourires crispés, ces mines angoissées qui se dressaient devant lui. Il sentit même, un instant, le poids de ses propres mots dépassé par l’expression ardente du public.
Un moment, alors qu’il voulait éponger du revers de la main son front trempé par l’excitation, Serti aperçut sur son poignet une énorme araignée qui s’était vraisemblablement échappée de sa caisse à noisettes. Il poussa aussitôt un cri d’horreur.
Lorsqu’il réalisa le profond désappointement du public vis-à-vis de sa réaction, il comprit que toutes ces personnes n’avaient vu dans son évocation de l’Epouvante, que cette répugnante bête à huit pattes qu’ils avaient jusque là suivie sur le corps d’un homme dont le sang-froid avait éveillé en eux une admiration sans borne.

 

Aux alentours : Pruniers sauvages, probablement nés à la suite du passage d’Oskar Serti à cet endroit.

la chute

Le 12 juin, Oskar Serti voulut monter sur un vieux cageot à framboises pour entamer son discours. Malheureusement, il avait tellement plu les jours précédents que le sol, détrempé, fit s’enfoncer la caisse, provoquant une spectaculaire perte d’équilibre d’Oskar Serti. Celui-ci, entraîné vers l’arrière n’évita une chute inéluctable que grâce à un remarquable rétablissement qui l’entraîna pourtant tellement en avant qu’il dû se cramponner au coin de sa caisse pour ne pas piquer du nez. Lorsqu’il voulut enfin retrouver une position plus accordée à ses intentions, le contact de son pied, beaucoup trop boueux, avec la planche, le précipita dans les airs pour le faire rebondir, miraculeusement toujours debout, sur le cageot.
Après avoir retrouvé un peu ses esprits, Oskar Serti tenta enfin de prendre la parole. Mais avant même qu’il n’ait ouvert la bouche, il vit avec stupéfaction, les personnes rassemblées autour de lui l’applaudir à tout rompre, lui jeter quelques pièces, puis s’en aller visiblement satisfaites.

 

Aux alentours : Cerisier sauvage, probablement né à la suite du passage d’Oskar Serti à cet endroit.

la langue

Le 11 juin, Oskar Serti monta sur un vieux cageot à cassis pour trouver l’élévation nécessaire à son réquisitoire.
Jamais encore il ne s’était senti aussi à l’aise pour prononcer un discours; les mots qu’il prononçait collaient merveilleusement à sa pensée et sortaient de sa bouche avec une facilité qu’il n’avait plus connue depuis des années. Serti retrouva ainsi avec bonheur cette profonde conviction qui, lorsqu’il était enfant, l’avait aidé à surmonter bien des épreuves.
Et pourtant, malgré cette grâce inattendue, personne ne lui prêta attention. Insensibles à ses propos, les promeneurs passaient devant lui sans même détourner les yeux. Seule, la présence d’un vieux monsieur qui s’était arrêté pour l’écouter attentivement, permit à Serti de terminer son intervention avec ardeur.
Lorsqu’il descendit de sa caisse, Serti vit son spectateur s’approcher de lui et demander avec curiosité quelle était cette langue bizarre dans laquelle il avait prononcé tout son discours.
Serti se rendit alors compte avec effroi qu’il venait de parler en hongrois, son exhortation passionnée l’ayant replongé, sans qu’il s’en aperçoive, dans sa langue maternelle.

 

Aux alentours : Cassis sauvages, probablement nés à la suite du passage d’Oskar Serti à cet endroit.

En mai 1937, quelques jours après le drame de Guernica, Oskar Serti se rendit aux Buttes-Chaumont, pour mettre en garde la population contre les dangers du totalitarisme. Ainsi, durant plus d’une semaine, il se lança dans des harangues improvisées, juché sur de vieux cageots à fruits qu’il empruntait chez les maraîchers du coin.