Les livres

À vingt ans, Oskar Serti affichait de telles prétentions quant à ses connaissances littéraires qu’il s’interdisait de reconnaître en public son ignorance d’un quelconque livre.
Ainsi, même si l’on évoquait en sa présence des romans qu’il ne connaissait pas, Oskar Serti était passé maître dans l’art de s’intégrer dans la conversation et de parler avec conviction de ce qu’il n’avait pas lu. Emporté par son imaginaire, il s’inventait inconsciemment les scénarios qu’il supposait être contenus dans ces livres et, sans vergogne, attribuait à de célèbres auteurs des histoires qui n’étaient que pure production de son esprit.
Bien plus tard, lorsqu’il prit finalement la peine de lire quelques-uns de ces romans, il eut la très vive impression d’y retrouver mot pour mot les mêmes récits que sa fougueuse ignorance avait jadis engendrés. Par un cruel retour des choses, il se sentit alors dépossédé d’œuvres qu’il considérait comme faisant également partie de ses créations.
Pour que le public puisse enfin reconnaître son statut d’auteur à sa juste valeur, Serti décida de faire publier ces histoires sous son propre nom.