L'atelier du sculpteur

 

François G… (1854-1909)

Bloc destiné à la taille de son buste

 

Pour enfin parvenir à une parfaite et exclusive écoute de lui-même, François G… décida, le 11 décembre 1909, de vivre dorénavant les oreilles comblées de boules de cire.
Malheureusement, des bruits insoutenables produits par les aliments qu’il ingurgitait venaient quotidiennement perturber sa nouvelle intimité sonore. C’est ainsi qu’il allégea trop radicalement ses repas et que l’irréparable se produisit.

Louis de P… (1845-1912)

Charpente destinée au modelage de son buste

 

Le 6 mai 1912, alors qu’il se recoiffait comme à son habitude devant le minuscule miroir de sa chambre verte, Louis de P… surprit avec effroi la naissance de taches brunâtres sur son front.
Comme, au fil des jours suivants, le mal ne fit qu’empirer et que personne parmi ses proches n’émit le moindre commentaire sur son état, il acquit la conviction d’avoir été empoisonné à la vindicte générale, et préféra mettre fin lui-même à ses jours avant d’être totalement défiguré.
Alors seulement, quelqu’un s’occupa des champignons qui s’étaient attaqués au dos du minuscule miroir de la chambre verte.

Indien M… (Fin du XIXe siècle, Iowa - Amérique du Nord)

Charpente destinée au modelage de son buste

 

Depuis toujours, les indiens M… marchaient en parfait accord avec le monde des formes étranges que pouvait dessiner leur « Umbria », l’ombre projetée de leur corps sur le sol.
Mais lorsqu’en 1885 (date du début de leur persécution par les colons), ils se réfugièrent dans le grand nord, l’inclinaison tellement plus marquée du soleil local leur greffa une « Umbria » si épouvantablement démesurée que, sous l’emprise de la terreur, ils firent irrémédiablement disparaître le corps qui en était la cause.

Hubert C…. (1861-1910)

Charpente destinée au modelage de son buste

 

Hubert C… avait toujours nourri l’espoir de porter un regard sur lui-même sans aucune aide extérieure. Finalement, le 8 mars 1910, il plaça ses mains sur toute l’étendue de son visage, en exerçant une telle pression que le sang comprimé dans ses paumes retint une fraction de secondes le dessin de ses traits les plus marquants. Mais lorsqu’il entreprit de voir son cou selon le même procédé, l’irréparable se produisit.

Duc Robert de L… (France, XIVè siècle)

Charpente destinée au modelage de son buste

 

Lorsque l’on proposa au jeune Duc Robert de L… de frapper une monnaie à son effigie, celui-ci exigea d’avoir une expression différente sur chacune d’entre elles.
Le maître d’oeuvre lui démontra l’impossibilité matérielle d’une telle entreprise, mais il accepta cependant d’incruster à la place des yeux un acier si sensible à l’humidité de la peau — spécifique à chaque être — qu’il donnerait au duc une intensité de regard particulière suivant chacun de ses sujets.
Malheureusement, au fil du temps, ceux-ci considérèrent leur suzerain si versatile qu’ils décidèrent de le destituer.

Victor de F… (1818-1906)

Bloc destiné à la taille de son buste

 

Le 14 août 1906, Victor de F… estima que le temps était venu pour lui de vivre avec un regard jeté en permanence sur le sommet de son crâne. il installa donc, au départ de la monture de ses lunettes, et jusqu’à la zone en question, un habile jeu de miroir. Mais lors de la promenade apéritive du lendemain, à l’heure où le soleil est des plus ardent, l’irréparable se produisit.

Geneviève M… (1885-1907)

Charpente destinée au modelage de son buste

 

Le matin du 28 décembre 1907, debout dans sa chambre glacée, Geneviève M… tenta de se farder. Les cheveux finement noués en arrière, elle parvint à dessiner le contour de ses yeux mi-clos, esquissa même la frontière élargie des pommettes. Mais lorsque le pinceau approcha ses lèvres entrouvertes, son visage disparut dans l’épaisse buée déposée sur le miroir par le souffle brûlant que rythmait sa poitrine découverte.
C’est alors qu’elle décida de retenir sa respiration pour achever son interminable séance de maquillage.

Femme W…. (Afrique australe - XIXè siècle)

Bloc destiné à la taille de son torse

 

Au temps des W..., les maris jaloux avaient coutume d’incruster joliment le corps de leur femme de minuscules fragments d’une pierre volcanique capable de se réchauffer violemment — jusqu’à provoquer d’intenses brûlures — sous l’impulsion d’une brusque accélération cardiaque due à une émotion trop intense.
Si, pendant des années, les W… infidèles parvinrent à ne céder au feu de leur passion qu’à la saison des pluies, aucune d’entre elles ne résista à l’interminable sécheresse de 1899.

Véronique D... (1882-1913)

Bloc destiné à la taille de son buste

 

Lorsque les concepteurs du nouveau transatlantique anglais proposèrent à la merveilleuse actrice Véronique D... d’incarner « Britannia » pour la statue de leur proue, celle-ci refusa qu’une réplique d’elle-même, en bois de surcroît, lui volât le plus beau rôle de sa carrière et les persuada aussitôt de la fixer elle, en chair et en os, en tête du bâtiment.
Malheureusement, le 19 novembre 1913, au cours de sa première traversée, les glaces meurtrières précipitèrent le « Britannia » au fond des flots.
A l’arrivée des sauveteurs, la mer ne laissa plus paraître du drame que l’empreinte du corps de Véronique gravée à la pointe d’un iceberg dérivant vers les mers du Sud.

Léo M… (1798 - 1839)

Bloc destiné à la taille de son buste

 

A l'automne 1839, lorsqu'il fut nommé chef de cette gare, Léo M… se pencha plus pratiquement sur un problème qui le poursuivait depuis une éternité, à savoir : un voyageur se déplaçant dans le sens inverse de la marche du train, avance-t-il ou recule-t-il ?
Pour ouvrir sa question, il décida de faire ajouter en queue de chaque train désservant sa gare une locomotive qui rendrait les convois parfaitement symétriques.
Voilà pourquoi, le 2 octobre 1841, Léo M… s'assit sur la voie 1 pour s'assurer de la bonne conformité de l'arrière de l'Anvers-Lille de 18 H.41'. Mais à 18 h.39', le départ du Courtrai-Gand de la toute voisine voie 2 lui donna l'illusion que c'était son propre train qui s'avançait vers lui. Dans la panique d'être renversé, il hurla au mécanicien placé en tête du train : « Reculez, reculez immédiatemen » et c'est ainsi qu'il fut implacablement cloué au sol.