L'appartement
Depuis le soir où il l’avait vue incarner Bérénice à la scène, Oskar Serti s’était pris d’une folle passion pour l’actrice Véronique de Coulanges. Durant plus d’un mois, jour après jour, il ne cessa de lui adresser lettre sur lettre, sans malheureusement recevoir le moindre signe de sa part.
Puis un matin, alors qu’il venait de perdre tout espoir de rencontre, Serti reçut un coup de téléphone empressé de Véronique l’invitant à prendre le thé chez elle.
Moins d’une heure plus tard, les jambes tremblantes d’émotion, Serti s’agrippait fébrilement à la main courante du long couloir qui menait à l’appartement de Véronique (1). Alors qu’il ne pouvait plus s’abriter derrière l’image édulcorée d’une lointaine Bérénice, Serti se sentit soudain paralysé à l’idée de se retrouver devant un être de chair et d’os dont il ignorait tout (2).
Petit à petit cependant, alors que sa main glissait lentement sur la rampe dont les courbes épousaient en douceur les multiples angles du mur, Oskar Serti retrouva un semblant d’assurance; il sentit même naître en lui le désir de prendre Véronique dans ses bras et de la couvrir de caresses (3).
Malheureusement, lorsqu’il fut devant la porte de son appartement, Serti vit son éphémère courage l’abandonner, et ne trouva pas la force de sonner (4).
En désespoir de cause, il se réfugia dans le grand escalier qui menait aux étages supérieurs, laissant glisser sa main sur la rampe dont les nombreuses courbures lui donnaient l’illusion de pouvoir apaiser son impossible désir.
Afin de préserver sa vie privée, l’actrice Véronique de Coulanges s’était fait un devoir de ne jamais répondre aux lettres enflammées de ses admirateurs.
Ainsi, lorsque le jeune écrivain Oskar Serti voulut prendre son coeur d’assaut, elle tint bon durant plus d’un mois. Puis un matin, relisant les lettres qu’il n’avait cessé de lui écrire, elle succomba à leur charme. Poussée par une force obscure, elle ne put vivre un instant de plus sans connaître cet homme. Elle s’empara du téléphone et invita Oskar à venir le plus vite possible prendre le thé chez elle.
S’apercevant qu’elle était toujours en robe de nuit, Véronique se précipita vers la salle de bain pour revêtir une tenue plus appropriée à la situation. Malheureusement, elle se prit les pieds dans le fil du téléphone, perdit l’équilibre, tomba la tête la première sur le sol, et perdit connaissance.
Près d’une heure plus tard, Véronique revint enfin à elle. Profondément troublée, le corps perlé de transpiration, elle se souvint aussitôt que lors de son évanouissement, elle avait rêvé d’Oskar Serti. Celui-ci n’avait cessé de l’enlacer et de la caresser comme jamais personne ne l’avait fait jusque là.
Au moment de se relever, elle voulut se dépêtrer du fil du téléphone ; mais lorsqu’elle vit à quel point celui-ci avait enserré jambes, bras et cou, elle comprit l’origine de son rêve indécent.
C’est alors qu’avec un mélange surprenant d’angoisse et d’impatience, elle entendit les pas d’un homme s’arrêter à la porte de son appartement. Mais après un moment d’hésitation, comme s’il cherchait quelqu’un d’autre, l’homme poursuivit son chemin dans le grand escalier qui menait aux étages supérieurs.
Abattue par le pressentiment qu’Oskar ne viendrait plus, Véronique mesura tout le poids de sa solitude et décida de rester un instant encore prisonnière de son fil.