Nous n’avions pas quinze ans. À la Seigneurie, c’était l’été de la grande épuration. Régulièrement, des condamnés étaient jetés dans l’escalier du donjon. Les après-midi d’exécution, nous avions pris l’habitude de nous retrouver à proximité du donjon, de l’autre côté de la rivière. On nous appelait la bande des trois. Nous remplissions nos poches de myrtilles, de fleurs de genêts, de champignons rouges. Dès qu’au loin, nous entendions l’ordre de jeter un condamné, nous prenions en mains les fruits de nos récoltes et dans une folle mêlée, nous nous en barbouillions joyeusement nos visages, bras et jambes. Nous roulions sur la mousse, puis nous nous écroulions comme si nous venions d’atterrir au pied du sinistre escalier, le corps couvert des couleurs qui devaient consteller les membres défaits des victimes du donjon.
Quelques mois plus tard, au cœur de l’hiver, nous marchions le long de la rivière, lorsque nous entendîmes un ordre d’exécution provenir du haut du donjon. Le premier moment de surprise passé, nous sentîmes monter en nous comme un besoin incontrôlé de voir naître sur nos corps les couleurs de la chute. À défaut de fruits, nous nous précipitâmes sur les cailloux qui bordaient la rivière et nous rouâmes de coups. Durant notre lutte, nous n’eûmes pourtant pas le cœur de crier comme autrefois, et dans notre silence, pour la première fois, nous entendîmes distinctement les hurlements qui s’échappaient du donjon.
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Nous n’avions pas quinze ans. À la Seigneurie, c’était l’été de la grande épuration. Régulièrement, des condamnés étaient jetés dans l’escalier du donjon. Les après-midi d’exécution, nous avions pris l’habitude de nous retrouver à proximité du donjon, de l’autre côté de la rivière. On nous appelait la bande des trois. Nous remplissions nos poches de myrtilles, de fleurs de genêts, de champignons rouges. Dès qu’au loin, nous entendions l’ordre de jeter un condamné, nous prenions en mains les fruits de nos récoltes et dans une folle mêlée, nous nous en barbouillions joyeusement nos visages, bras et jambes. Nous roulions sur la mousse, puis nous nous écroulions comme si nous venions d’atterrir au pied du sinistre escalier, le corps couvert des couleurs qui devaient consteller les membres défaits des victimes du donjon.
Quelques mois plus tard, au cœur de l’hiver, nous marchions le long de la rivière, lorsque nous entendîmes un ordre d’exécution provenir du haut du donjon. Le premier moment de surprise passé, nous sentîmes monter en nous comme un besoin incontrôlé de voir naître sur nos corps les couleurs de la chute. À défaut de fruits, nous nous précipitâmes sur les cailloux qui bordaient la rivière et nous rouâmes de coups. Durant notre lutte, nous n’eûmes pourtant pas le cœur de crier comme autrefois, et dans notre silence, pour la première fois, nous entendîmes distinctement les hurlements qui s’échappaient du donjon.
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