Dans l'île
La joue droite d'Oskar, tournée vers le grand large, est barrée d'un incisif trait noir qui semblerait représenter une cicatrice récente. Mais pourquoi diable Oskar, affublé d'une telle plaie, s'arrêtait-il ici, à l'endroit de l'île le plus exposé aux sels marins, lorsque l'on connaît leur capacité sans égale à raviver les blessures? |
Curieusement, ce dessin ne représente ni Oskar, ni un endroit où il aurait pu se trouver. La suite des traits horizontaux, décroissants et chaotiques qui y figure, pourrait plutôt être interprétée comme une vue d'ensemble de la mer, particulièrement proche du panorama que l'on découvre d'ici. |
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Dessiné à cette place, Oskar (qui semble parler tout seul) porte une veste maculée de taches blanches. On pourrait déceler leur origine au dessus de la tête d'Oskar, où de nombreux « V » rapidement crayonnés signalent peut être un rassemblement de goélands trop familiers. mais comment Oskar aurait-il pu supporter le comportement de tels animaux? |
Ici, Oskar apparaît comme revêtu d'une veste de smoking si froissée qu'il aurait pu la porter sans arrêt depuis plusieurs jours. Derrière lui, d'épaisses hachures semblent indiquer que la pluie tombe drue. Mais comment Oskar aurait-il pu supporter l'ingratitude d'un tel climat dans une tenue aussi peu appropriée? |
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A cet endroit, l'ombre portée d'Oskar est tellement marquée qu'il devait se trouver en plein soleil. Pourtant, ses yeux, formés de deux simples ronds, sont grand ouverts. Comment, dans ces conditions, aurait-il pu ne pas être dangereusement aveuglé par ce trop plein de lumière? |
Je me souviens être venu ici un matin de légère brise. Alors qu'en promenade, je me débats généralement pour maîtriser le va et vient des différents niveaux de pensées qui s'entrecroisent au rythme de mes pas, ce jour-là le vent qui sifflait continuellement dans mes oreilles m'enleva toute concentration et fit s'échapper mes idées une à une. A la fin, je ne savais même plus pourquoi j'étais là. Sur le chemin du retour, le calme revenu, je me rappelai d'Oskar dessiné à cette place. Ses cheveux ébouriffés par un vent soufflant en rafale laissaient apparaître des sourcils tellement froncés qu'il donnait l'impression malgré la bourrasque, d'être parvenu à retenir un minimum de matière à réflexion et de s'y accrocher avec une volonté farouche. |
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* Il est bien difficile de saisir l'expression que Lucie Jourdan voulut donner ici à Oskar, car son visage se limite à un ovale blanc. Peut être y était-il pâle comme la mort. Au vu de l'endroit particulièrement élevé où il s'est penché, la chose serait d'ailleurs parfaitement compréhensible. mais pourquoi Oskar se serait-il mis dans une situation aussi périlleuse?
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Tel qu'il apparaît à cette place, Oskar semble porter des knickers (mais je ne l'ai jamais vu accoutré de cette façon), ou alors, ce qui me paraîtrait plus plausible, les jambes de son pantalon sont retroussées. C'est vrai que d'ici, lorsque la marée sera basse, il y aura un peu de temps parmi les algues encore mouillées pour rejoindre à pied la terre ferme. Cependant, la mer a été dessinée tellement haute à l'arrière-plan qu'elle donne à Oskar au moins trois heures d'attente avant une possible traversée. |
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En mars 1921, au lendemain de sa douloureuse rupture avec Catherine de Sélys, l'écrivain Oskar Serti ( 1881-1959) vint prendre un peu de recul sur l'île Milliau, répondant ainsi à l'invitation bienveillante que Lucie Jourdan, alors maîtresse des lieux, lui avait adressée.
Durant son séjour, Oskar fut hanté par le désir de comprendre ce qui venait de lui arriver. On raconte qu'il passait ses journées à faire le tour de l'île, s'arrêtant systématiquement de longues minutes toujours aux mêmes points de vue. A aucun moment, il ne s'aperçut que Lucie Jourdan, dont l'admiration pour son oeuvre était sans limite, l'avait dessiné lors de chacune des invariables stations qui rythmaient ses promenades quotidiennes. Malheureusement, par la suite, ces croquis furent si souvent manipulés qu'après un an à peine, ils commencèrent à s'effacer inexorablement, rendant aujourd'hui toute reproduction impossible.
La chance voulut cependant, qu'avant leur complète disparition, et malgré leur mauvaise qualité, Victor Lurkin, fidèle ami et biographie d'Oskar Servi, en tira des descriptions d'une telle précision qu'elles permirent, en 1991, à la Fondation Oskar Serti de retrouver sur l'île les fameux points de vue d'Oskar, afin d'y ériger de petits piedestaux y commémorant le soixante-dixième anniversaire de son passage.