Autour de la cité
En route vers l'ouestLa route ne sera pas du tout comme on l’imaginait à la maison. On avait pourtant tellement lu le livre qui en parlait. On le connaissait par cœur. On pouvait le refermer, planter au hasard une aiguille dans toute son épaisseur et savoir le moindre mot qui avait été épinglé. |
En route vers le nordSi, au cours de notre route, nous voulons passer la nuit dans une maison abandonnée, méfions-nous ! Car même dans notre sommeil, la curiosité nous poussera à la visiter, et nous aurons toutes les chances de tomber sur un homme en noir tapi dans le grenier. Méfions-nous, car la plupart des maisons abandonnées que nous trouverons sur notre route seront en réalité les maisons de famille que nous avons voulu oublier. L’homme en noir se débrouillera toujours pour nous mener dans une petite chambre et nous jouer le rôle d’un ancêtre mort debout, les yeux grands ouverts. Soyons vigilants, car si nous nous approchons de lui pour l’embrasser, nous nous réveillerons en sursaut, les lèvres posées sur le miroir de la chambre. Il fera tellement froid que nos lèvres resteront collées à ce miroir ; nous aurons juste la liberté de lever légèrement les yeux pour voir le reflet de la route qui s’éloigne dans notre dos. |
En route vers le sudSi, en cours de route, nous passons par une vallée, prenons garde de nous y arrêter. Le vent y est toujours moins fort et l’herbe plus verte. La tentation sera grande de vouloir mettre un terme à notre voyage et d’y construire notre maison. Ne perdons pas de vue que la plupart des vallées sont encore susceptibles d’être inondées par l’édification de barrages. |
En route vers l'orientÀ l’approche des étangs, notre corps sera complètement enveloppé d’une nuée de mouchettes. Dès que nous changerons d’humeur, toutes se mettront d’un bloc à l’écart, mais continueront de nous suivre un peu en retrait en conservant la forme de notre corps. À chaque changement d’humeur, nous serons nimbés d’un nouveau nuage de mouchettes. Les anciens nuages nous suivront comme une armée d’ombres. Les mouchettes – dont l’espérance de vie est plus courte que la nôtre – seront remplacées par d’autres au cours du voyage. Mais une mémoire génétique leur fera conserver leur place dans notre forme. |
Quand on s’arrête devant un paysage, c’est pour y promener son regard en toute liberté. Les points où l’on pose les yeux ne sont que des moments de repos au cours de ce parcours.
L’important, pour bien regarder un paysage, est de fermer les yeux suffisamment longtemps : les images sur lesquelles on vient à peine de se reposer s’impriment alors au fond de la rétine. Avec un peu d’attention, on remarquera qu’elles se détachent de leur point d’origine pour se promener en nous. Elles se déplacent pour aller se fondre dans des images issues de notre mémoire ou de notre invention.
Rien ne se fixe jamais en nous : les cellules qui composent notre œil se régénèrent tout au long de notre vie, et chaque nouvelle image qui entre en nous n’a d’autre but que d’aller se nourrir d’une plus ancienne.
Mais ne nous attardons pas trop sur les images; car seul compte – dans notre observation du monde – le fait de sentir nos yeux bouger dans notre visage. Sans ce mouvement, nous serions toujours, traits pour traits, génération après génération, à l’image du premier homme découvrant son horizon.