Dans le centre historique
1. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison, P. Uccello (Pratovecchio, 1397 – Florence, 1475) fixa un crochet légèrement décentré au dos d’une de ses toiles pour que son futur propriétaire en rétablisse chaque matin le fragile équilibre.
2. On raconte que, lorsqu’il passa sa nuit de noces dans le jardin de cette maison,
E.A. Poe (Boston, 1809 – Baltimore, 1849) attacha solidement les mains de sa femme au tronc d’un jeune et tendre saule pour qu’elle y grave de ses ongles acérés la violence de leurs ébats.
À la fin de sa vie, il consolait sa virilité perdue dans les monumentales cicatrices de l’arbre.
3. On raconte que, lors de son passage dans cette maison,
N.V. Nijinski (Kiev, 1890 – Londres, 1950) ne put danser comme autrefois sur le disque qui avait bercé son enfance. Il vérifia l’enregistrement, l’interprétation, tout était identique. Seules manquaient les rayures de l’original.
4. On raconte que, le 14 février 1840, lorsqu’elle entendit au-dessus d’elle le bruit sourd de la fameuse météorite qui devait s’abattre sur cette maison, George Sand (Paris, 1804 – Nohant, 1876) pressentit qu’elle allait en être la victime.
Résignée, sa dernière pensée fut pour Alfred de Musset (Paris, 1810 – id. 1857), qu’elle avait pourtant lâchement abandonné cinq ans auparavant.
Le soudain rappel, en ce moment fatal, de l’exécrable comportement qu’elle avait eu vis-à-vis du pauvre Alfred, réveilla en elle un tel sentiment de dégoût qu’un violent soubresaut de répulsion envers elle-même la parcourut et l’écarta miraculeusement du danger.
5. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
L.F. Céline (Courbevoie, 1894 – Meudon, 1961) ne se lava jamais les mains avant d’utiliser sa machine à écrire. À son cinquième roman, recouvert de crasse et de sueur de bout des doigts, le clavier devint quasiment illisible. Deux touches délaissées brisaient cependant l’alignement noirci d’empreintes digitales : le Z et le W.
Pour rétablir l’équilibre de la patine organique de sa machine, Céline tapait des pages entières de Z et de W ; des ZW, des WZ, des ZZ et des WW.
6. On raconte que, en janvier 1882, à la suite d’un enlèvement toujours inexpliqué, R. L. Stevenson (Édimbourg, 1850 – Vailima, 1894) fut enfermé et attaché durant plus d’une semaine dans une cave de ce bâtiment.
Les premiers jours de sa séquestration, en l’absence de tout contact avec ses ravisseurs, il passa son temps à essayer de dénouer le bandeau qui l’empêchait d’identifier l’endroit où il était retenu.
Lorsqu’au bout du troisième jour, il parvint enfin à s’en débarrasser, Stevenson eut la chance de découvrir – après un temps d’adaptation à l’obscurité ambiante – que l’aspect général de sa prison se révélait pratiquement conforme à celle qu’il s’était représentée mentalement durant son aveuglement forcé. La seule différence fut que, les yeux ouverts, il ne sentait plus cette présence imaginaire qu’il avait continuellement supposée à ses côtés les jours précédents.
Au sixième jour, la solitude l’accabla tellement qu’il décida de remettre son
bandeau.
7. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
N. Poussin (Andelys, 1594 – Rome, 1665) peignit pour une création oubliée de P. Corneille (Rouen, 1606 – Paris, 1684) un rideau de scène si vivant que les acteurs décidèrent de jouer en ombre chinoise derrière lui.
8. On raconte que, sur le toit de cette maison,
J.-B. Carpeaux (Valenciennes, 1827 – Courbevoie, 1875) érigea un « saint François parlant aux oiseaux » en marbre de Carrare. Chaque semaine, il déposait un petit sachet de graines sur la paume des mains tendues de la statue.
Le jour de la mort de Carpeaux, les avant-bras du saint tombèrent, rongés par la fiente.
9. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
N. V. Gogol (Storotchinsky, 1809 – Moscou, 1852) écrivit la biographie d’un
déséquilibré, plia le brouillon de son manuscrit en quatre et le glissa sous le pied trop court de sa table de travail.
10. On raconte que, dans la cour de ce bâtiment,
Aristide Maillol (Banyuls-sur-Mer, 1861 – id. 1944) conçut une Vénus en pierre dont les formes devaient être exclusivement taillées par la seule force de jets d’eau savamment canalisés.
Mais lorsqu’à l’inauguration, on coupa les eaux pour découvrir la déesse surgissant des flots, les officiels la jugèrent tellement impudique qu’ils décidèrent de rouvrir les eaux jusqu’à ce qu’elle recouvre un aspect plus décent.
11. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
G. Courbet (Ornans 1819, – La Tour de Peilz, 1877) aimait tellement parler de ses œuvres qu’il décida d’incendier son atelier pour que ses toiles ne viennent plus perturber ses commentaires.
12. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
“K. Malevitch ( Kiev, 1878 - Léningrad, 1935) adressait des enveloppes vides à des amis. Il attendait fiévreusement leur réponse.”
13. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
“O. Redon (Bordeaux, 1840 - Paris, 1916) dessinait des bouquets de fleurs au pastel. Des pigments colorés se glissaient sous ses ongles qu’il coupait soigneusement et rangeait dans une petite boîte.
14. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
“I. Duncan ( San Francisco, 1877 - Nice, 1927) dansa en fonction de la boue qui recouvrait son corps: mouvements lents et harmonieux sous une boue bien fraîche, gestes violents et saccadés pour alimenter en transpiration la terre qui se desséchait.”
15. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
“ P. Mondrian ( Amersfoort, 1872 - New-York, 1944) décida de retoucher une de ces compositions pour qu’elle rejoigne les véritables couleurs d’une photographie surexposée la représentant.”
16. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
“F. Kafka ( Prague, 1883 - Kierling, 1924) donna dans sa langue maternelle une conférence si passionnante que l’interprète de service en resta sans voix.”
17. On raconte que, lors de son séjour dans cette maison,
“C. Brancusi (Pertiani, 1876 - Paris, 1957) modela le buste de J. Joyce en terre glaise; il ne cuisit pas la terre, mais la plaça sous un globe de verre et l’arrosa toutes les semaines. Des taches de moisissures apparurent, des rides se creusèrent. En 1958, la terre se dessécha et tomba en miettes.”
18. On raconte que c’est dans cette maison que
les concepteurs du nouveau transatlantique anglais proposèrent à la merveilleuse actrice Véronique Janah (Metz, 1852 – Océan Atlantique, 1913) d’incarner « Britannia » pour la statue de leur proue. Mais celle-ci refusa qu’une réplique d’elle-même, en bois de surcroît, lui volât le plus beau rôle de sa carrière et les persuada aussitôt de la fixer elle, en chair et en os, à la tête du bâtiment.
Malheureusement, le 19 novembre 1913, au cours de sa première traversée, les glaces meurtrières précipitèrent le « Britannia » au fond des flots.
À l’arrivée des sauveteurs, la mer ne laissa plus paraître du drame que l’empreinte du corps de Véronique Janah gravée à la pointe d’un iceberg dérivant vers les mers du Sud.
19. On raconte que lorsqu’il revint dans cette maison après son long exil anglais, Charles Sedaneau (Metz, 1425 – id., 1455) avait la ferme intention de modifier les unités de poids et de mesure alors en vigueur.
On le pendit sur-le-champ au bout d’une longue corde.
20. C’est dans cette maison que le philosophe Hubert Cornillon (Liège, 1859 – Metz, 1913) rendit son dernier souffle.
On raconte qu’Hubert Cornillon avait toujours nourri l’espoir de porter un regard sur lui-même sans aucune aide extérieure. Finalement, le 8 mars 1913, il plaça ses mains sur toute l’étendue de son visage, en exerçant une telle pression que le sang comprimé dans ses paumes retint une fraction de seconde le dessin de ses traits les plus marquants. Mais lorsqu’il entreprit de voir son cou selon le même procédé,
l’irréparable se produisit.